Promenades avec les hommes

 

Ann Beattie

Christian Bourgois. 2010.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch.






4e de couverture :

1980. Jane, brillante diplômée de Harvard, quitte la ferme du Vermont où elle vivait avec Ben, musicien et poète en herbe, pour s’installer à New York, avec Neil, un professeur écrivain beaucoup plus âgé qu’elle, qui décide de prendre en main son éducation. Ceci jusqu’au jour où elle découvre qu’il est marié et, contrairement à ce qu’il prétendait, ne passe pas ses nuits à écrire dans le cabinet de Tyler, son ami vétérinaire…

En une centaine de pages, Ann Beattie décrit un univers complexe où règnent le doute amoureux, la passion, la volonté de survivre, l’ambition, avec une justesse et une ironie subtiles, un sens de la description qui restitue l’atmosphère new-yorkaise d’une époque révolue mais toujours vivace.



Mon avis :

Promenades avec les hommes se savoure avec délectation, surtout grâce à la plume d’Ann Beattie, affûtée comme un scalpel, qui nous décortique avec précision les doutes et les déboires d’une jeune femme des années 80. Mais c’est une écriture très « américaine », avec un découpage qui pourra surprendre les lecteurs peu habitués à la littérature d’outre atlantique. La forme classique du roman − un début, une progression narrative, une fin − est ici complètement oubliée. À la manière d’un Jack Kerouac et sa prose spontanée rappelant l’écriture automatique des surréalistes français, l’autrice saute quelquefois « du coq à l’âne », suivant un enchaînement de pensée qui l’entraîne (et le lecteur avec elle) sur des chemins détournés, mais toujours proches et filant dans la même direction que la route principale. Comme le titre l’indique, c’est une promenade, et lorsque l’on se promène, rien oblige à suivre la voie balisée. C’est d’ailleurs dans les détours qu’on découvre parfois les choses les plus inattendues.

Ce qui n’empêche pas Ann Beattie de rester concentrée sur son sujet : son rapport avec les hommes. Principalement avec son premier « petit ami », Ben, et avec Neil, qu’elle a fini par épouser. Pour être tout à fait honnête, ne devrait-on pas dire que son sujet principal, c’est elle ! D’ailleurs, dans ce genre d’autofiction, les auteurs ne font-ils rien d’autre que de parler d’eux-mêmes ? Ici, les hommes qu’elle évoque ne sont qu’un vecteur à son auto-analyse et n’existent qu’à travers ses doutes sur ses sentiments.

Mais peu importe ! Beaucoup d’écrivains se servent de l’écriture pour tenter de résoudre leur problème existentiel ; la question est de savoir s’ils le font avec suffisamment de talent, et dans le cas d’Ann Beattie, pour moi, la réponse est oui, mais…

Cette opinion n’engage évidemment que moi, mais je trouve que si le travail de dissection d’Ann Beattie est magistralement réalisé, c’est au détriment de tout engagement ultérieur. L’autrice laisse le soin au lecteur de terminer le boulot ; un peu comme un médecin légiste qui ouvrirait un cadavre, en sortirait les organes et laisserait le soin aux inspecteurs d’en tirer leurs conclusions.

Tout est pourtant là : l’histoire est crédible et se suit avec plaisir ; les personnages, bien qu’un peu effacés par rapport à la narratrice, sont suffisamment décalés pour apporter de l’intérêt ; la plume, je me répète, terriblement efficace. Il me manque la petite prise de risque qui, par un engagement plus prononcé, ajouterait un peu de piment à cette tranche de vie un peu trop froide à mon goût.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire