Les abeilles grises

 

Andreï Kourkov

Liana Levi. 2019.

Traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne.






4e de couverture :

Dans un petit village abandonné de la « zone grise », coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux laissés-pour-compte : Sergueïtch et Pachka. Désormais seuls habitants de ce no man’s land, ces ennemis d’enfance sont obligés de coopérer pour ne pas sombrer, et cela malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Aux conditions de vie rudimentaires s’ajoute la monotonie des journées d’hiver, animées, pour Sergueïtch, de rêves visionnaires et de souvenirs. Apiculteur dévoué, il croit au pouvoir bénéfique de ses abeilles qui autrefois attirait des clients venus de loin pour dormir sur ses ruches lors de séances d’« apithérapie ». Le printemps venu, Sergueïtch décide de leur chercher un endroit plus calme. Ayant chargé ses six ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, le voilà qui part à l’aventure. Mais même au milieu des douces prairies fleuries de l’Ukraine de l’ouest et du silence des montagnes de Crimée, l’œil de Moscou reste grand ouvert…



Mon avis :

La zone grise, lieu où vivent Sergueïtch et Pachka, est un endroit un peu hors du temps, ou plutôt hors du présent. Coincés entre deux lignes de front, sans électricité, presque sans contact avec l’extérieur, les deux protagonistes n’ont pas grand-chose à faire d’autre que de regarder la course du soleil. La monotonie de leur existence les rend tous deux un peu passif. Leur vie s’écoule, ils se laissent porter. Ainsi, lorsque Sergueïtch décide de faire estiver ses abeilles, il garde une forme de fatalisme et ne participe que peu aux événements, même à ceux qui le touchent de près.

Ce récit reflète parfaitement cette inertie devant une situation qu’on ne maîtrise pas ; Kourkov nous projette dans un monde où les romans d’Aldous Huxley et de Georges Orwell sont devenus réalité. « Big Brother », c’est l’œil de Moscou, et ses sbires ont tôt fait de vous remettre dans le droit chemin et de vous intimer de rester à votre place.

À la lecture de ce que je viens de dire, on pourrait penser que ce roman est un peu lourd, mais ce n’est pas cas. Si le rythme en est assez lent, la plume de Kourkov est légère et le fond ne manque pas d’humour. Mais c’est un humour qui se mérite : loin de la franche rigolade, l’auteur fait plutôt dans la subtilité, et l’on risque parfois de passer à côté si l’on n’a pas les références. Cela n’enlève rien au plaisir, et cette histoire à la fois tendre et cruelle nous entraîne dans un dépaysement qui ne tient pas seulement à la géographie. Et si le récit se situe au moment de la guerre du Dombas (2015), il nous donne aussi un éclairage fort pertinent sur les événements actuels. Une raison supplémentaire pour lire d’urgence Les abeilles grises.

 


 

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