Philippe Claudel
Stock. 2007.
4e de couverture :
« Je m’appelle Brodeck, et je n’y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache.
Moi je n’ai rien fait, et lorsque j’ai su ce qui venait de se passer, j’aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu’elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer.
Mais les autres m’ont forcé : "Toi, tu sais écrire, m’ont-ils dit, tu as fait des études." J’ai répondu que c’étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d’ailleurs, et qui ne m’ont pas laissé un grand souvenir. Ils n’ont rien voulu savoir : "Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses. Ça suffira. Nous on ne sait pas faire cela. On s’embrouillerait, mais toi, tu diras, et alors ils te croiront." »
Mon avis :
Il y a tellement de livres qui sortent chaque année, qu’il est impossible de les lire tous, même en se limitant aux seuls qui nous paraissent dignes d’intérêt, alors forcément, on passe souvent à côté de belles réalisations. Heureusement, il est toujours possible de se rattraper ! Pour moi, c’est chose faite avec Le rapport de Brodeck.
Dans ce roman, Philippe Claudel réussit à nous parler d’événements que tout le monde connaît sans jamais citer leur nom ni les situer dans le temps. Et si l’on comprend de quoi il parle et à quelle époque cela se passe, il les rend de cette façon plus universelle et élargit considérablement le propos. Cela donne un texte d’une densité rare sur la complexité des rapports humains et sur la force du communautaire face à l’individu.
Dès les premières pages, le décor est planté : dans un petit village de montagne, juste après « la guerre », un meurtre a été commis par une grande partie de la communauté. Brodeck est chargé de relater ce qui a amené à cet assassinat auquel lui-même n’a pas participé. Alors, il rédige deux rapports, l’un officiel, l’autre pour se rappeler. Et à travers ce témoignage caché, il nous raconte comment il est arrivé là, comment il a été adopté par l’ensemble du village, puis trahi. Il ne porte pas de jugement, il essaie de comprendre. L’horreur, il l’a vécu, il est revenu de là d’où l’on ne revient pas. Maintenant, il est au-delà, simple témoin des événements, simple rapporteur.
Certains verront peut-être ici un énième livre sur la Shoah, mais ce n’est par le cas, même si l’on comprend que la guerre dont l’auteur parle est bien celle de 39-45 et que Brodeck est déporté dans un camp de concentration. C’est dans les moments les plus paroxysmiques, et la guerre en est un, que l’émotion prend le dessus sur la réflexion, que la peur dicte les actes et que la multitude s’auto-alimente de cette peur qui la pousse à des décisions extrêmes. Et c’est bien là le cœur du roman. C’est ce que nous raconte Le rapport de Brodeck.
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