Milena
Agus
Traduit
de l’italien par Dominique Vittoz
4e
de couverture :
Au
centre, l’héroïne : jeune Sarde étrange « aux longs
cheveux noirs et aux yeux immenses ». Toujours en décalage,
toujours à contretemps, toujours à côté de sa propre vie… À
l’arrière-plan, les personnages secondaires, peints avec une
touche d’une extraordinaire finesse : le mari, épousé par
raison pendant la Seconde Guerre, sensuel taciturne à jamais mal
connu ; le Rescapé, brève rencontre sur le Continent, à
l’empreinte indélébile ; le fils, inespéré, et futur
pianiste ; enfin, la petite-fille, narratrice de cette histoire,
la seule qui permettra à l’héroïne de se révéler dans sa
vérité. Mais sait-on jamais tout de quelqu’un, aussi proche
soit-il…
L’auteur :
Milena
Agus
est née à Gênes, en 1959, d’une famille sarde. Elle a enseigné
l’italien et l’histoire dans un lycée technique de Cagliari.
Son
premier roman, Mentre
dorme il pescecane
(Quand le requin dort) est paru en 2005, aux éditions Nottetempo et
a connu un rapide succès, mais c’est
celui-ci, Mal
di pietre
(Mal de pierres), sorti en 2006 en Italie et en France qui l’a
révélée. Nicole
Garcia
l’a adapté au cinéma sous le même titre en 2016.
Depuis,
Milena
Agus
en
a publié une dizaine d’autres, dont Prends
garde écrit
avec Luciana
Castellina
qui
a reçu le Prix Méditerranée étranger en 2015. Mal
de pierres
a été cinq fois primé en Italie.
Mon
avis :
Ceux
qui n’ont jamais mis les pieds dans les pays du sud − au
minimum, le midi de la France − ne s’imaginent peut-être
pas à quel point la lumière au zénith y coule sur le paysage comme
du métal en fusion, sans aspérité et pourtant si rugueux. C’est
ce même soleil, sans doute, qui traverse ce court texte d’à peine
plus de cent pages, mais qui pèse le poids de toute une vie. Toute
une vie riche aussi de celle des autres…
Ceux
qui n’ont jamais pénétré le cœur des êtres ne savent peut-être
pas à quel point à travers chaque individu, on peut lire l’histoire
de tous ceux qui l’ont croisé, qui l’ont touché dans sa chair
ou dans son esprit, qui lui ont pris ou donné, en matériel ou en
pensée…
La
lumière trop vive brûle les détails et cache bien des choses, mais
ce que l’on ne voit pas ne disparaît qu’à nos yeux, et il faut
parfois attendre l’ombre, propice à faire éclater les secrets,
pour saisir ce qui nous était dissimulé.
Milena
Agus promène sa plume sur
ce qui est en pleine lumière,
à la façon d’une ombrelle, pour mieux nous dévoiler
l’insondable, le
silencieux, ce que l’on perçoit parfois sous
la surface, mais que l’on
préfère bien souvent
ignorer, sans trop savoir pourquoi. Elle
manie son outil, tel
l’archéologue qui, d’un coup de pinceau vif et précis, dégage
un artefact de son carcan de terre et de poussière. Elle
nous révèle le commun, dans toute son impudique singularité.
Paradoxalement,
ce n’est pas ce qu’elle nous dit des secrets de l’âme de ses
personnages qui paraît indécent,
mais bien ce qui les rend si ordinaires : leurs faiblesses,
leurs non-dits sans importance, leurs petits travers que tout le
monde connaît, au fond…
Mais tout cela est d’une indiscrétion légère, comme
la lessive suspendue aux fenêtres en Italie. On y voit les pièces
vestimentaires qui sont d’ordinaire cachées, mais généralement,
on évite d’attarder son regard sur cet étalage effronté. Ou
juste du coin de l’œil, par curiosité. Ça n’a l’air de rien,
mais si l’on n’y prend garde, si on laisse nos pensées divaguer
entre ces morceaux d’étoffe, d’une jupe à un corsage, d’une
culotte à un drap, c’est tout un corps qui se dessine,
invisiblement relié à d’autres corps. C’est
aussi
cet insaisissable
chemin d’un être à un autre que l’autrice nous montre en
transparence, au-delà des
simples liens de parenté.
Dans
ce jeu d’ombres et de lumière, la
narratrice, sous une apparente neutralité,
raconte avec délicatesse sa
grand-mère, considérée comme un peu folle, avec son « mal de
pierres » et sa difficulté à avoir des enfants, son mariage
de raison et sa rencontre avec « le rescapé ». Toute une
vie d’où partent ces indiscernables fils qui l’attachent à ce
mari non choisi, à ses sœurs, à ses voisines, à ce fils venu
tard, dont on se demandera
jusqu’à l’épilogue quel est son véritable père.
Si
cette question sur l’identité du paternel
mène à
la chute de ce roman, ce n’est pas le
petit suspense qu’elle apporte qui capte le lecteur, mais bien
cette écriture ciselée avec maîtrise, ce récit où se côtoient
le drame et le comique, le grave et la provocation, la douceur et la
violence. Et si le ton et la distanciation peuvent surprendre dans
les premières lignes, cela colle parfaitement à cette histoire, à
ce personnage qui vit un peu « à
côté de sa propre vie… » Alors si vous n’avez pas encore
lu Mal de pierres,
laissez-vous séduire par la Sardaigne et ce court roman, petit par
la taille, mais grand par ses qualités.
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