Même les cow-girls on du vague à l'âme


Tom Robbins
Traduit de l’américain par Philippe Mikriammos




4e de couverture :
Dotée à sa naissance des deux plus longs pouces du monde, Sissy Hankshaw décide de devenir la plus grande auto-stoppeuse des États-Unis. Partant ainsi à l’aventure, Sissy fera une série de rencontres étonnantes qui transformeront sa vie : la Comtesse, magnat des déodorants intimes ; Julian Gitche, l’Indien qui sera un temps son mari ; le docteur Robbins, psychiatre farfelu. Et surtout les cow-girls du ranch de la Rose de Caoutchouc qui revendiquent l’égalité avec les hommes sous la conduite de la belle et sauvage Bonanza Jellybean.
Dans ce roman drôle et excentrique, Tom Robbins bouscule allègrement les conventions morales et littéraires. De ce chef-d’œuvre de la contre-culture, rien ni personne ne sortira indemne.


L’auteur :
Thomas Eugene Robbins est un auteur américain, né le 22 juillet 1932 à Blowing Rock, en Caroline du Nord.
Après des études de journaliste à l’Université Washington and Lee, à Lexington (Virginie), et son échec à obtenir le diplôme convoité, il s’engage dans l’armée de l’air et sert pendant la guerre de Corée. Rendu à la vie civile, il étudie l’art au Richmond Professional Institute, puis il déménage sur la côte ouest et devient journaliste pour le Seattle Times. Il vit depuis de nombreuses années dans l’État de Washington.
Ses livres sont un mélange détonnant d’étrangeté et de précision, souvent raconté sur un ton acerbe, voire cynique, qui décrit avec un regard amusé, parfois avec un brin d’arrogance, la société contemporaine.
Même les cow-girls ont du vague à l’âme (paru en 1976 aux États-Unis) a été adapté au cinéma par Gus Van Sant, en 1993, sous le titre « Even Cowgirls Get the Blues », avec Uma Thurman dans le rôle de Sissy Hankshaw.


Mon avis :
Ceux qui suivent Les lectures de Poljack m’ont vu bien des fois tacler, plus ou moins gentiment, quelques auteurs américains dont la prose à la rigueur toute académique est aussi susceptible de provoquer des émotions que l’annuaire de la Creuse. Encore que pour l’annuaire, je peux me tromper, je n’en ai lu que de très courts extraits ! Ce serait bien entendu aller un peu vite en besogne d’en conclure que je loge toute la littérature américaine sur la même étagère… Tant s’en faut ! J’ai parfaitement conscience que les États-Unis ont produit quelques spécimens de ce qui se fait de mieux en matière de contre-culture, et c’est justement de l’un de ces délicieux fruits défendus que je veux vous entretenir.
Même les cow-girls ont du vague à l’âme n’est pas un petit dernier de l’année, puisqu’il accuse le vénérable âge de quarante ans, pour la version française (ajouter deux années pour la publication originale). Mais il y a des œuvres qui ne vieillissent pas, et ce roman a vraiment gardé toute sa fraîcheur, même si, sur certains thèmes évoqués, les choses ont un peu évolué (mais pas tant que ça !)
Là, j’entends les grincheux grinçaient… « C’est quoi, ces thèmes ? Encore un bouquin "prise de tête" qui parle de choses sérieuses ? À moins que ce soit un bouquin sérieux qui parle de choses "prise de tête" ! »
Rassurez-vous ! Si l’auteur aborde effectivement un certain nombre de sujets de société, poussant même sa plume vers les contrées sauvages de la philosophie et de la spiritualité, ce livre est loin d’être ennuyeux (si tant est que se poser des questions est ennuyeux). Je dirais même mieux : je n’avais pas été aussi enthousiasmé par un roman depuis Le dernier chasseur de sorcière, de James Morrow.
Même les cow-girls ont du vague à l’âme est une espèce de conte baroque où l’on croise des personnages criants de vérité dans leur loufoquerie qui ne repose parfois que sur un léger décalage. L’histoire de Sissy Hankshaw, tout aussi extravagante, en est le lien… un nappage goûteux sur un mille-feuille aux saveurs surprenantes. Tenez ! Quelques extraits, pour vous mettre l’eau à la bouche :
« Sur les bords d’un lac marécageux dans un coin obscur des Dakotas, un feu de camp souriait à en perdre les flammes. »
« Attendez. Attendez un instant, s’il vous plaît. Même si nous sommes d’accord que le temps est relatif, que ses conceptions les plus subjectives sont aussi erronées que ses descriptions les plus objectives sont arbitraires ; même si nous faisons tout ce que nous pouvons pour nous extirper de son terrible flux (au point de ne pas tenir compte lorsqu’un auteur demande "Attendez un instant, s’il vous plaît", car un moment n’est après tout qu’une petite miette de temps) ; même si nous faisons vœu d’allégeance au hic et nunc ; ou que nous considérons le temps comme une boîte vide à remplir de notre génie, ou que nous restructurons les concepts que nous en avons pour qu’ils correspondent au tic-tac sauvage de l’horloge ; même comme ça, nous en sommes venus a attendre que, pour le meilleur ou pour le pire, les livres que nous lisons présentent une forme ou une autre d’ordre chronologique, car la fonction de la littérature est de donner ce qui manque à la vie. »
« Prairie. N’est-ce pas un bien joli mot ? Il vous roule sur la langue comme une petite lune grassouillette. Prairie doit être un des plus jolis mots de la langue anglaise, même si c’est un mot français. Il dérive du mot latin "pré", plus un suffixe féminin. Une prairie est donc un pré femme. Elle est plus grande et plus sauvage qu’un pré masculin (que le dictionnaire définit par "pâturage" ou "herbage"), plus brute, plus océanique, et plus permanente, abritant un éventail de vie plus vaste. »


Je pourrais vous en citer encore bien d’autres, tant ce roman regorge de trouvailles, d’inventivité, d’images aussi folles que parlantes, parvenant à nous faire oublier qu’il parle aussi de sujets plus sérieux, par une aérienne profondeur. En fait, je pourrais recopier tout le livre, tellement il me donne envie de partager le plaisir que j’ai ressenti à sa lecture. Oui, Tom Robbins nous parle de notre conception du monde, mais c’est fantasque, gai, drôle (j’ai ri, mais j’ai ri !), et à la fois profond. N’est-ce pas là tout ce qu’on demande à la littérature ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire